L’alchimiste du minuscule

Fleurs à la vigueur maladive ou essaims d'insectes en route vers on ne sait quel disque planétaire: les tableaux de Thierry Feuz racontent, chacun à leur manière, une petite histoire hallucinée. Ils nous conduisent au sein même de la matière, dans les tissus ou les sédiments, dans la vie minuscule du détail et de l'infiniment petit. Les fleurs étranges de Thierry Feuz nous avaient fascinés, déployant des corolles irréelles et presque organiques à force d'énergie, brouillant les limites entre la nature et l'artifice. Aujourd'hui, l'artiste élargit son terrain de jeu, il tente les fonds colorés et sombres et passe à d'autres choses: la série des quatre «Mistral» par exemple, une voie lactée de papillons clignotants dans le crépuscule d'un système solaire aux couleurs acidulées. Ou encore le retour des fleurs, mais sous la forme luxuriante et envahissante d'une jungle étouffée de lianes. Des tableaux qui se lisent autrement de tout près. Ces petits mondes oniriques se peuplent alors d'un grouillement minuscule de détails, un foisonnement d'objets infimes que l'on cherche en vain à cataloguer sous une forme connue et stable. L'insecte devient une petite vrille avec une bulle et trois paillettes, ce qui semblait un pétale perd soudain sa cohérence et se présente comme une goutte éclatée, aux couleurs fuyantes. Thierry Feuz est un maître dans sa technique alchimiste des laques et des solvants. Il expérimente, il teste, et dans ses tableaux tout vibrants d'énergie, il concentre les effets. Et c'est comme s'il livrait un secret, à déchiffrer dans l'abondance des signes. Magnifique.

Sophie Bourquin, www.lexpress.ch, le 19 octobre 2006